Voici la suite tant attendue de la première partie des aventures vécues par Henry Spietweh pour faire immatriculer sa voiture à Berlin.
Jour 2
« Allô, c’est Rutkoschinski. Vous p’vez v’nir ici vite fait ? Vot’e voiture doit êt‘ présentée au service d’immatriculation ! »
« Qu’est-ce qu’il se passe ? »
« Vot‘ voiture. La Chevro-truc, i‘ veulent la voir avant qu’elle soit immatriculée. C’est une sorte d’règle ici, les véhicules importés et qui n’ont pas servis d’puis longtemps doivent êt‘ inspectés ! »
« Ah…et vous n’en étiez pas au courant hier ? »
« Si… euh… non… Bon, vous p’vez êt‘ là quand ? »
« Qu’est-ce qu’il faut que je fasse au juste ? Passer devant l’employé responsable des immatriculations en conduisant très lentement, c’est ça ? »
« Arrêtez d’dire n’import’koi, on vous attend ici ! »
« Oui, oui, je me lève ! »… et vais d’abord prendre ma douche.
« Ah z-êtes enfin là ! I‘ veulent voir le num’ro d’châssis. Savez où ‚l’est sur vot‘ voiture ? »
« Oui, devant, dans le compartiment moteur, je crois… »
« Bien, j’le dis aux collègues. Roulez jusqu’au garage là-bas ! »
En descendant de ma voiture, je retire le plus discrètement possible un autocollant de la porte conducteur comportant un numéro de châssis. J’avais déjà remarqué en achetant la voiture la semaine dernière que c’était un autre numéro que celui collé dans le compartiment moteur que je prévois de leur montrer maintenant parce qu’il correspond à ce qu’il y a écrit sur les papiers de la voiture.
« Très bien. C’est donc vot‘ voiture ? »
« Oui. »
« Ah, nous, on aime bien c’genre là. Vous savez où est l’numéro d’châssis ? »
« Oui, dans le compartiment moteur ! » J’ouvre le capot. « Ici ! »
« Non, ça, c’est la plaque d’identification du véhicule. C’est pas ça. Ca doit êt‘ vissé que’qu part dans l’châssis! »
« Vissé dans le châssis ? »
« Oui. Ah mais pas sur voitures américaines en fait. »
« Ok et où est-ce qu’il faut chercher alors ? »
« Ca, nous l’savons pas non plus. Les Ricains collent des plaques comme ça partout, mais en Europe on doit fixer le numéro dans l’châssis. Et d’vant à droite, s’lon la loi ! »
« Et s’il n’y a aucun truc de ce genre sur ma voiture ? »
« Bah on peut pas l’immatriculer ! »
Pour la première fois, je commence à me sentir mal.
« Z-avez une lamp‘ poche ? »
« Non. C’est à VOUS de chercher ce numéro, non ? »
L’employé du service des immatriculations est de plus en plus de mauvaise humeur. Ce contrôle de routine commence à lui demander de travailler, et, ça, visiblement, ça lui déplaît. Après qu’une lampe de poche télescopique de luxe a été dégotée, il éclaire le passage de la roue qui se trouve devant à droite. Et ils trouvent tout de suite ce qu’ils cherchaient. Malheureusement.
« Jünter ! Ramène-toi ! J’ai b’soin d’ton aide ! R’garde ça ! »
L’employé numéro 1 observe à plusieurs reprises le passage de roue, puis regarde sur les papiers, puis à nouveau le passage de roue et devient de plus en plus pâle. L’employé numéro 2, alias Jünter, le relaye. Il regarde dans le passage de roue, gratte, frotte et polie, regarde les papiers puis encore une fois le passage de roue. Les deux se regardent et froncent les sourcils.
« V’nez là ! R’gardez là, à l’intérieur. Lisez l’numéro là à haute voix ! »
« 2GB38… »
« Ça suffit ! »
« Comment ça ? »
« Le premier chiffre, c’était quoi, s’vous plaît ? »
« Bah, un deux ! »
« Bien. R’gardez là. Vos papiers. Qu’est-ce qu’y a écrit ? »
« Oh, 1… »
Je regarde à nouveau dans le passage de roue. Et me réjouis.
« Mais la suite est identique quand même ! »
La seule réponse que j’obtiens est le regard de l’employé qui me dit : « Vous ne pensez pas sérieusement ce que vous venez de dire ? », ce que je prends d’abord comme une invitation à re vérifier.
« Oui, la suite est identique. Quelqu’un a juste dû faire une faute de frappe. Vous n’avez qu’à changer le numéro sur les papiers ! »
Son regard me dit maintenant : « Vous êtes fou ? » – à vrai dire, l’employé dit plutôt quelque chose comme : « I‘ doivent êt‘ pareils, compr’nez ? Pareils ! Pas un peu pareils ! Doivent êt‘ pareils ! Et i‘ sont pas pareils là, alors ça va pas ! On peut pas vous immatriculer comme ça ! »
Après quelques regards désemparés et perplexes et une question sans réponse posée à Rutkoschinski, l’employé de l’entreprise d’immatriculation que je paye, je comprends qu’il faut maintenant faire appel au chef du service.
« Alors, voilà c’qui faut faire : vous d’vez faire poser un nouveau numéro d’châssis par la Dekra(2). Nous-z-avons d’ailleurs fait des r’cherches. Le num’ro avec le 2 est pas valide, celui avec le 1 existe et n’a pas été déclaré volé, z-avez d’la chance ! »
J’en ai vraiment, de la chance… « Et, maintenant ? Je peux tout simplement aller à la Dekra et leur dire qu’ils doivent fixer un nouveau numéro de châssis ? »
« Bon sang, bien sûr que non ! Vous-z-avez b’soin d’une lettre officielle pour ça ! »
« Ah oui, ça a l’air super. Et c’est vous qui me la donnez ? »
« Oui, mais soyez pas si impatient…Ca f’ra d’abord 47€ ! »
En arrivant à la DEKRA, je constate que le responsable du garage est d’abord quelque peu surmené et pose des questions techniques dont le conducteur lambda ne peux pas connaître la réponse ad hoc :
« Pourquoi acheter UNE TELLE voiture ? », « Qui a laissé ce truc réussir le contrôle technique ? », « Vous avez déjà vu que tout était égratigné en dessous de la voiture ? », et « Dites-moi, c’est un châssis ou une carrosserie auto-porteuse ? »
Je lui réponds simplement que ça me serait en fait bien égal si je devais passer un deuxième jour au service d’immatriculation et que je n’avais encore jamais entendu quelqu’un me dire (hormis en Belgique) qu’il avait dû investir autant de temps pour faire immatriculer sa voiture et qu’il devait, lui, simplement faire ce qui était écrit dans les textes officiels pour que nous puissions, aujourd’hui encore, immatriculer ma voiture. Bizarrement, le responsable du garage s’est mis en colère.
« Vous ne savez absolument pas de quoi vous parler ou bien ? D’après la loi, le numéro d’identité du véhicule, comme s’appelle le numéro de châssis dans les termes corrects, doit être fixé dans le châssis. Devant à droite exactement. Mais comme il n’y a plus de place là, ça ne va pas. »
« Alors soudez simplement une plaque par dessus ! »
« C’est interdit. La seule solution serait que nous constations ici que votre voiture a une carrosserie auto-porteuse. Comme ça je peux fixer le numéro n’importe où sur la carrosserie, par exemple sur les cadres des portes. »
« Alors c’est réglé, non ? Une carrosserie auto-porteuse… quoi que ça puisse être… »
L’homme de la Dekra commence à en avoir peu à peu marre de nous.
« Dites-moi, est-ce que l’un de vos deux cerveaux de génies a en fait vu qu’ici, devant le tableau de bord, derrière le pare-brise du côté conducteur et bien visible de l’extérieur, il y a une plaque avec le numéro de châssis ? »
Nous (Rutkoschinski et moi, donc) regardons bêtement derrière le pare-brise. Non, bien sûr que non, on ne l’avait pas vu, tout comme l’employé du service d’immatriculation. Heureusement. Car ce n’est, bien sûr, pas le bon numéro.
« Alors, si je comprends bien, vous voulez aller à l’étranger avec votre voiture ?! Dans ce cas, j’enlèverais proprement cette plaque à l’avant. Mais ce n’est pas moi qui l’ai fait, hein. Et maintenant, posez-y un papier bien soigneusement par dessus pour que personne ne le voit lors de l’immatriculation. Bien – pour qu’on avance, je vous écris maintenant un rapport de la Dekra dans lequel je note avoir constaté que votre voiture possède, sans le moindre doute, une carrosserie auto porteuse – ce qui serait de toute façon mieux pour vous avec toute cette rouille au sol. Et je vous fixe le bon numéro ici dans là porte avant droite – ou ce qu’ils disent être le bon numéro. Ensuite faites attention à ce que les modifications de la carte grise soient bien remarquées lors de l’immatriculation, ok ? »
Pendant tout le temps qu’on a passé à la DEKRA, une sorte de communauté de fans et d’admirateurs s’est formée autour de notre Chevy G20 parmi les gens qui, tous, attendaient là pour régler des petits problèmes avec leur voiture afin de pourvoir effectuer l’immatriculation. Ce groupe s’est d’ailleurs rapidement trouvé un leader qui m’a presque harcelé à la fin pour que je lui vende ma voiture et pour que je ne la vende surtout pas aux « Russkovs ». Je le remercie d’ailleurs pour son intérêt.
80 euros payés à la DEKRA plus tard, l’employé du service d’immatriculation réobserve la voiture, Rutkoschinski regarde bêtement, comme d’habitude. Mes chances de voir enfin ma voiture être immatriculée augmentent en raison de l’enthousiasme émergeant de l’employé qui se réjouit que le numéro ait été proprement posé, qu’il soit extrêmement bien lisible et qu’on ne doive plus se pencher pour le lire. Rutkoschinski se réveille maintenant de l’état léthargique dans lequel il était depuis deux jours. Il voudrait donner du gaz à tout ça et regarder s’il peut obtenir l’immatriculation de la voiture aujourd’hui, le guichet n’étant ouvert que quelques minutes encore.
Je dois attendre. Et j’aperçois Ibrahim. Ibrahim est Libanais et est probablement ce qu’on pourrait appeler un modèle d’intégration. Ibrahim vend à Berlin des véhicules utilitaires usagers vers l’Afrique et il a des horaires d’ouverture fabuleux : du lundi au vendredi de 10h00 à 17h00. Aucune exception. Aucune heure supplémentaire. Aucun travail le week-end. Jamais. En fait, je m’étais intéressé à une voiture d’Ibrahim. J’étais allé le voir une fois et voulais faire contrôler la voiture par un garage étant donné qu’Ibrahim refuse strictement toute responsabilité. Mais à cause de ses horaires je n’y suis jamais arrivé. Alors j’ai tout bonnement acheté cette Chevrolet. Ibrahim n’en sait encore rien. J’essaye de l’éviter du regard et espère qu’il ne me reconnaisse pas. Il me regarde pendant longtemps et réfléchit. Mais il ne semble pas se souvenir de moi.
Rutkoschinski vient me délivrer en se rendant finalement utile : « Z-avez de la chance, on va y arriver aujourd’hui, je peux faire sceller les plaques d’immatriculation cet après-midi, j’ai déjà l’autorisation exceptionnelle pour la petite plaque américaine » m’informe-t-il fièrement une demi-heure plus tard. C’est déjà ça, me disais-je.
Quelques heures plus tard, Rutoschinski a malheureusement perdu son euphorie. Il me fait très clairement comprendre d’un geste de la main que c’est fichu pour aujourd’hui. Il m’explique que le numéro de mon attestation d’assurance n’est pas bon, il n’est valable que pour une immatriculation provisoire, c’est écrit dessus en plus.
« Et vous ne l’avez pas vu vous-même ? »
« Si…euh non.. », me dit-il encore une fois.
[…]
(2) La Dekra (Deutscher Kraftfahrzeug-Überwachungs-Verein, Association allemande d’inspection des véhicules à moteur) est une entreprise privée fondée en 1925 à Berlin et offre notamment des services de contrôles techniques des véhicules motorisés.