Henry Spietweh vous invite à le suivre dans les méandres des services d’immatriculation berlinois. Ci-dessous, la première partie de ses aventures :
Jour 1
« Qu’est-ce qu’vous faites là ? »
« Vous travaillez ici ? »
« Bah r’gardez donc autour d’vous ! »
A ce moment là très exactement je décidai déjà que j’allais conserver pour toujours cette conversation qui s’annonçait des plus absurdes. Quelque chose me disait que j’allais encore beaucoup m’amuser !
En fait, je me trouve dans une pièce vide du service des immatriculations de Berlin où l’on vient juste de m’interpeller alors que je m’étais perdu en cherchant le distributeur de tickets d’attente.
« Hein ? »
« Bah, vous croyez qu’c’est si beau ici qu’j’y suis d’mon plein gré ? »
Beau, c’est loin de l’être, c’est sûr. Bien que le bâtiment ait visiblement été construit récemment, les architectes ont réussi à y créer une ambiance, au goût très prononcé, digne de l’ex-République démocratique allemande et à y imposer une décoration froide et de mauvais goût avec, entre autres, du lino d’époque. De plus, le bâtiment en question se trouve, bien évidemment, dans l’un des endroits les plus idylliques de Berlin, c’est-à-dire aux confins du quartier Hohenschönhausen à la limite nord-est de la ville.
« Oui, euh, donc, je cherche le distributeur de tickets d’attente. »
« Y en a p’us ! »
« Mais il y a bien ce panneau dans le couloir, non ? »
« Mais vous voyez bien qu’la pièce est vide ! »
« Oui, mais il y a bien un panneau ! »
« Mais y a pas d’tickets ! »
« Vous avez donc enlevé le distributeur mais vous avez laissé le panneau ? »
« Hé, moi, j’fais rien ici ! »
C’est bien l’impression que j’avais eu…
« Oui…hm…Ahah ! Et maintenant ? »
« Y a p’us d’tickets ! »
« Mmmhh ! »
« Tout est su’rendez-vous ! » Cette dame, qui, aussi bien à cause de son physique qu’à cause de sa voix, a bien plus l’air d’un homme que moi, poursuit en parlant dans sa barbe : « ’n-idée du chef ! »
« Super. Et comment j’obtiens un rendez-vous alors ? Ce n’était pas précisément pour ça que vous aviez les distributeurs ici ? »
« Ici vou-z-obtiendrez aucun rendez-vous ! »
« Mais…Vous venez juste de dire… Vous… alors… Je… Seulement sur rendez-vous ? »
« Oui, mais vou-z-en-obtiendrez que sur internet ! »
« Donc, là, il faut que je retourne chez moi pour prendre un rendez-vous pour ensuite revenir ici ? »
« C’est ça ! Z-avez compris ? »
« Euh… oui ! »
Arrivé chez moi, je constate qu’on peut certes prendre rendez-vous sur le site internet du service d’immatriculation mais que les premières dates disponibles sont dans trois semaines – le mercredi à midi… c’est trop tard pour moi… et trop bête. La voiture que je dois faire immatriculer dispose d’une immatriculation de courte durée qui expire AUJOURD’HUI et je ne peux pas attendre trois semaines. J’appelle donc l’un des nombreux services d’immatriculation privés que je trouve sur Google et qui promettent une immatriculation à Berlin en moins de 24 heures.
« Allô. Bonjour, j’ai un petit problème : je dois faire immatriculer une voiture aujourd’hui à Berlin ! »
« Ahah, très drôle. Aujourd’hui, ce n’est plus possible Monsieur, les guichets sont déjà fermés. On peut vous faire ça demain. »
« Ok, et dites-moi, vous avez réservé des rendez-vous tous les jours ou comment vous faites ? »
« Nan nan, on va au guichet des professionnels. »
« Au guichet des professionnels ? Il y a un guichet pour les professionnels ? Et là, on n’a pas besoin de rendez-vous ?
« Nan, bien sûr que nan, on ne peut tout de même pas savoir si dans trois semaines on devra immatriculer une voiture. »
Alléluia. Avec cette réglementation sur les rendez-vous d’immatriculation, le Land de Berlin a visiblement offert une raison d’être à tout un secteur commercial. Je retiens mon envie soudaine de fonder ma propre entreprise pour pouvoir ensuite faire immatriculer ma voiture en tant que mon propre donneur d’ordre car je viens en fait de me rappeler, encore une fois, que ma voiture ne devra bientôt plus circuler étant donné que son immatriculation se périme à minuit…
« Oui… bien… génial… Et comment ça marche concrètement ? »
« Eh bien si vous voulez faire ça, j’envoie quelqu’un chez vous maintenant ! »
« Très bien, faites ça ! »
Un employé du nom de Rutkoschinski est arrivé chez moi en moins de trente incroyables minutes et a récupéré tous les documents nécessaires : rapport du contrôle technique, carte grise, attestation d’assurance, carte d’identité et tout mon argent.
« Est-ce que vous fournissez aussi les vignettes vertes(1) ? »
« Théoriquement, ouais, mais en pratique nan ! »
« Parce que ? »
« Bah parce qu’y a b’soin d’infos sur les normes des-z-émissions d’gaz. Avec un six, un cinq et un quatre, z-avez une vignette verte, avec un trois une jaune et avec un deux une rouge. Compris ? »
« Oui. Et ? »
« Eh bien, r’gardez là sur vot‘ carte grise ! »
« Catégorie d’émission non déclarée ? »
« C’est ça, votre voiture en a pas ! Au mieux, on pourrait essayer d’obtenir une autorisation exceptionnelle. Mais c’est cher et ça dépend de l’humeur du fonctionnaire. Et ce n’est valable que pour une ville ! »
« Comment ça ? Il faut que je demande une autorisation exceptionnelle dans chaque ville allemande qui possède une zone verte, ce qui me coûte en plus de l’argent à chaque fois et qu’on n’est même pas sûr d’obtenir ? »
« C’est exact’ment ça ! C’est bon ? »
« Euh… oui ! Et, en fait, est-ce que je peux avoir une plaque américaine ? »
« J’croyais qu’vous vouliez faire immatriculer vot‘ voiture à Berlin ? »
« Oui, oui, mais je pensais en fait à un petit macaron comme ça… »
« Ah, j’comprends. C’est une américaine, vot‘ voiture, ou quoi ? »
« Oui… euh.. vous.. vous avez … là, les papiers… ici… devant vous, qu’est-ce que vous lisez ? »
« Che… c’est quoi ce truc ? Che-vrol-let ? Et c’est une ‘ricaine, c’est ça ? »
« Oui. »
« Alors, faut qu’on ait une autorisation exceptionnelle ! »
« Ah ! »
[…]
(1) Berlin a créé le 1er janvier 2008 une zone environnementale au cœur de la ville afin de limiter la pollution de l’air provoquée par les gaz d’échappement. A partir du 1er janvier 2015, seuls les véhicules les moins polluants auront l’autorisation de circuler dans cette zone. Cette autorisation est obtenue lors du contrôle technique et se matérialise par une vignette de couleur verte à coller sur le pare-brise.